lundi 29 septembre 2008

Le Grand Bond : en avant?

LIGNE DU TEMPS, CHINE ANNÉES 50

Quand la république populaire de Chine fut établie en 1949, on recensait une population de 540 millions d'habitants. Trente ans plus tard, c'était 800 millions. Aujourd'hui, huitième année de ce deuxième millénaire — depuis que mes ancêtres ont recommencé à compter — la Chine compte près d'un milliard et demi d'habitants. Ceci constitue un des plus grands défis sur le plan démographique.

En fait, on peut dire que la démographie en Chine, depuis les soixante dernières années, a été plus que houleuse et c'est inopinément que je suis tombé sur une histoire assez macabre, mais néanmoins très intéressante. On nomme cette histoire le Grand Bond en avant. C'est aujourd'hui que je constate la pauvreté de l'éducation que j'ai reçue concernant l’Histoire de cette planète. Pendant qu'on m'inculquait des notions de base sur le fabuleux Louis Riel, ou sur cette bataille des Plaines d'Abraham, dormait en de vieux grimoires un tas d'histoires bien plus significatives pour mieux comprendre l'homme et l'humanité en général. L'Histoire n'est pertinente que si nous nous souvenons, et nous permet d’éviter de reprendre les erreurs de nos prédécesseurs.

Cela se passe dans les années 1950. Le lancement du Grand Bond en avant. Nous sommes en République populaire de Chine, sous la gouverne de son fondateur. le théoricien, guerillo et révolutionnaire Mao Zedong. Celui-ci s'apprête à mettre sur pied un plan d'une immense envergure, qui, Mao l'espère bien, donnera une nouvelle orientation à la Chine. Propagande massive et coercition seront mises en oeuvre afin de mobiliser la population et stimuler la production en un temps record. L'idée fut inspirée des soviétiques, on voulait atteindre cet objectif par la collectivisation agricole, l’élargissement des infrastructures industrielles et la réalisation de projets de travaux publics d’envergure. Un plan immense, irréaliste et qui passera bien près d'effondrer complètement l'économie de ce pays. À la lumière de ce que j'en comprends, c'est l'histoire d'un roi qui rend esclaves ses millions de fidèles, au point de les laisser mourir de faim, et ce, pour bâtir un empire — que dis-je? Une République populaire — à la hauteur de ses ambitions. Quand le pouvoir est appliqué sans éthique...

Tableau d'ensemble sur la réalité de la Chine avant le Grand Bond.
Dans les années 50, l'État chinois met en place un programme de redistribution des terres et d’industrialisation, avec l'aide technique de l'Union soviétique. De 1955 à 1957 s'installe un débat au sein du parti communiste chinois (PCC) qui porte sur la nature du projet socialiste et son rythme. Copiant avec zèle l'empire soviétique, la Chine devait néanmoins s'adapter à la réalité chinoise. Mao Zedong devient partisan d’une voie spécifiquement chinoise du socialisme qui s’appuie sur la paysannerie et accorde une importance centrale à la collectivisation accélérée. Pour lui, la collectivisation est nécessaire pour que l’agriculture puisse contribuer efficacement à l’industrialisation du pays. En effet, les soviétiques s'étaient industrialisés depuis les années 30 en exportant les surplus agricoles, et c'était dans cette voie que l'on s'était engagé du côté chinois. À la fin de l'an 1955, c'est la presque totalité des 120 millions de foyers paysans qui est directement impliquée dans ce Grand Bond en avant. Les paysans conservent théoriquement la propriété de leurs terres ainsi qu’un lopin à usage privé. Ils sont rémunérés sur la base de leur travail. Il y a peu de révolte, et les résistances sont essentiellement passives. La campagne d’extermination des contre-révolutionnaires « cachés » développée dans tout le pays en 1955 a eu sans doute un effet d’intimidation.

Pendant l’été 1956, la mauvaise gestion, renforcée par un climat défavorable, entraîne des pertes importantes (10 % de la production pourrit dans les greniers). L’élevage régresse également. À l’automne 1956, l’économie urbaine subit le contrecoup de la crise agricole. Les pouvoirs publics sont obligés de réduire leurs investissements dans certains secteurs clés comme les travaux publics. L’échec du « Premier Bond » est évident et précipite la marche arrière politique. La situation n’est pas catastrophique, car des mesures d’urgence sont prises, et seules quelques zones éloignées connaîtront la famine. Mais la dimension psychologique est importante car pour la première fois la crédibilité du régime est atteinte.

Le Grand Bond...

Le Grand Bond fut officiellement lancé en 1958. 750 000 coopératives agricoles avaient été regroupées en 23 500 communes, constituées en moyenne de 5 000 familles. Chaque commune avait le contrôle sur tous les moyens de production et opérait indépendamment des autres. Le modèle prévoyait que les communes soient (théoriquement) autosuffisantes en ce qui a trait à l'agriculture, aux petites industries, aux écoles, à l'administration et à la sécurité locale. Le système était aussi basé sur l'espoir qu'il permettrait de libérer des ressources pour les travaux d'infrastructure , une partie essentielle du plan de développement.

Dès le début de 1959, des signes de réticence de la population commencèrent à se manifester. Le Parti, qui présenta un rapport très positif mais faussé de la production de 1958, dut admettre qu'il était exagéré. Les conséquences économiques du Grand Bond en avant commencèrent à se faire sentir : pénuries de matières premières pour les industries, surproduction de biens de mauvaise qualité, détérioration des usines et des infrastructures à la suite de la mauvaise gestion et surtout, démoralisation complète de la population dont des cadres du parti à tous les niveaux. Des pénuries de nourriture apparurent et dégénérèrent en famine dans plusieurs régions.

Été 1959 : Peng Dehuai est ministre de la Défense et membre du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC). C’est surtout un des fondateurs de l'Armée populaire de libération de Chine, et un des fondateurs du régime. Revenant d'un voyage de son Hunan natal, il a pris conscience de la réalité du pays. La famine, les mensonges des cadres l'ont scandalisé. Il expose alors ses critiques dans une lettre ouverte et dans plusieurs interventions lors du comité de travail. Mao interprète cela comme une attaque personelle et demande la démission de Peng Dehuai. Peng est oublié, mais au sein du PCC, la question du rôle de Mao sera au centre de la politique chinoise. Cet incident a deux conséquences directes : on observe une relance du GBA et de grandes tensions sino-soviétiques (Mao avait suggéré que Peng était à la solde des soviétiques afin de s'en débarasser).

A partir de l’été 1960, la récolte est encore plus désastreuse que l’année précédente. À l’automne 1960, la plupart des dirigeants dont Mao lui-même, décident enfin la retraite et mettent en oeuvre une série de documents pour faire face à la situation.En juin 1961, Mao fait une auto-critique et rend la retraite officielle. Il reconnaît après les derniers événements en Union soviétique que sous un leadership malhonnête, un État communiste peut dégénérer en système d’exploitation. Lorsque les dirigeants admettent enfin l’ampleur du désastre, les demi-mesures ne suffisent plus. C’est la survie du pays et du régime qui est en cause. Dans les villes on étend le rationnement, diminue les horaires de travail. À l’heure du déjeuner les lycéens reçoivent des décoctions de feuilles d’arbres et font une sieste. Les autorités diffusent de nombreux ersatz mais la mortalité augmente. À la campagne la situation est plus grave, la plus grande partie du pays connaît la famine entre 1960 et 1962. Les provinces du Nord sont plus touchées par une sécheresse de trois ans. Même dans les régions plus favorisées comme au Guangdong, on manque de bois pour les cercueils. Les réactions populaires ne sont pas à la mesure de la tragédie, aucune rébellion ne prend de l’ampleur. La relative passivité populaire s’explique d’abord par le souci de parer au plus pressé, d’échapper à la famine. Mais l’appareil communiste supporte le choc car l’Armée est là aussi pour écraser les émeutes, même si elle prend part aussi à la relance de la production (120 000 soldats sont envoyés aux champs de mars à septembre 1960). L’économie chinoise a perdu cinq à dix ans, des dommages ont été irréparables, la salinisation des sols, terroirs épuisés par la sur-production.

1960 est sans doute l’année la plus sombre de l’histoire de Chine.
Les paysans ont été les principales victimes de la famine. asper Becker, un journaliste, fait le récit de ce drame humain dans son ouvrage Hungry Ghosts grâce au recueil de témoignages dans la province du Henan. "Les corps gisent dans les champs en friche, les survivants sont trop faibles pour les enterrer. Ils sont à quatre pattes pour chercher des graines sauvages à manger. D’autres sont accroupis dans les mares et fossés pour chasser les grenouilles et ramasser des herbes. Alors que c’est l’hiver, les gens sont légèrement vêtus, les vêtements tenus par des brindilles d’herbes et fourrés de paille. Certains avaient l’air en bonne santé, le visage bouffis par les oedèmes, les autres étaient d’une maigreur squelettique. Les plus faibles s’écroulaient sans un mot ou dans leur sommeil. Il régnait un silence inhabituel car il n’y avait plus de boeufs: abattus, plus de chiens: mangés, les poulets et les canards avaient été confisqués par les cadres du Parti, il n’y avait plus d’oiseaux; pourchassés et tués. Plus de feuilles et d’écorce sur les arbres, les rats et les souris mangés ou morts de faim (!?! Quand les rats meurent de faim, pouvez-vous imaginer à quel point il n'y a plus RIEN à manger?). Il n’y avait plus de bois aux portes et aux fenêtres: utilisés comme combustibles pour les petits hauts fourneaux. Plus d’édredons: mangés ou confisqués. On ne pouvait pas faire du feu, car on ne pouvait plus manger à la maison avec les cantines collectives. Les plaques de cuisine, les poêles et les casseroles: fondus. Quand ils arrivaient à faire des galettes avec des herbes, ils étaient battus. Deux fois par jour, ils faisaient la queue devant la cantine pour un bol de gruau mélangé avec des patates douces et des navets, des épis de maïs moulus et mauvaises herbes. Les vieux étaient toujours à l’arrière et n’avaient plus rien". J'ai fait élipse des passages les plus choquants. Je pourrais seulement ajouter qu'à un certain point, dans de pareilles circonstances, la seule façon de survivre est de recourrir au cannibalisme. Quelle misère humaine. Et surtout, que de gens, que de gens souffrirent en Chine durant ces macabres années.

Les cadres du Parti étaient mieux lotis, on s'en doute. Les premiers à mourir étaient les paysans et ceux trop faibles pour travailler. On cachait les morts pour conserver les rations. La période de famine fut appelée les Trois Années de Désastres Naturels à l'époque, car elle était officiellement imputée aux intempéries qui sévirent à ce moment et amplifièrent la crise agricole. Ce nom n'est quasiment plus utilisé en Chine maintenant puisqu'il est avéré que la famine était bien plus due à une mauvaise politique économique qu'aux phénomènes naturels. On l'appelle maintenant la « famine du Grand Bond ».

Ce n’est que dans le milieu des années 1980 que des démographes américains ont pu avoir accès aux statistiques de la population après la politique d’ouverture de la Chine de 1979. Leurs conclusions étaient stupéfiantes : au moins 30 millions de personnes étaient mortes de faim durant cet épisode de l’histoire de la République populaire. Un chiffre jamais envisagé avant cette date.

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Pourquoi ce sujet? Récemment dans les nouvelles télévisées, j'appris que les autorités chinoises retirent du lait pour bébés des tablettes des supermarchés, Contaminés à la mélamine (C3H6N6).

On connait bien la mélamine d'où je viens, car en plus d'avoir toute une panoplie d'armoires et de comptoirs en mélamine (c'est un mauvait jeu de mot), il y eut en Amérique du Nord un scandale en 2007 concernant cette substance. Menu Foods a le 16 mars 2007 rappelé 60 millions de boîtes de nourriture pour chiens et chats produites aux États-Unis avec des aliments importés, vendues sous 95 marques différentes aux États-Unis, Canada et Mexique ; après qu'au moins 14 animaux soient morts anormalement, de défaillances rénales dans la plupart des cas. Plus de 8 000 plaintes ont été déposées à la FDA les semaines suivantes, pour certaines, en nom collectif, aux États-Unis et au Canada.La mélamine pourrait dans certaines conditions bloquer les fonctions rénales, selon des chercheurs de l'Université de Guelph (Ontario), ce qui expliquerait certaines morts de chiens et chats ayant consommé ces aliments, de la mélamine ayant été détectée dans l'urine ou les reins de chats décédés, ainsi que de l'acide cyanurique (sous-produit métabolique de la mélamine), ces deux composés réagissant en formant des cristaux pouvant bloquer la fonction rénale.

C'est bien beau tout ça mais, et ces bébés chinois? Aux dernières nouvelles, 53 000 nouveaux-nés sont officièlement contaminés en Chine. Acte criminel. Mais le pire dans tout ça, c'est que la Chine savait depuis trois mois qu'il y avait des problèmes de contamination. Pourquoi a-t-on attendu trois mois et 53000 bébés contaminés? Rappelons que durant cette période, Beijing était la ville hôte des jeux olympiques, et que déjà bien des scandales avaient ébranlé la bonne tenue des jeux, et l'image que la Chine veut déployer à tous azimuts. Aurait-on encore choisi la collectivité au prix de l'individu? Et quel est ce prix exactement? Combien ça prend d'individus pour qu'on considère cela comme la collectivité?

Je vais vous dire ce que j'en pense franchement : 53 000 nouveaux-nés, c'est ÇA l'avenir d'une société. Et si cette société est aux prises avec un problème de sur-peuplement c'est peut-être en grande partie grâce à cette politique pro-natale des années 50. Peut-être esperait-on à l'époque que tous ces millions d'esclaves meurent justement de faim après que Mao ait enfin bâtit sa "république"? L'agriculture Maoiste n'était pas tellement destiné à nourrir qui que ce soit, à part les cardes du Parti.

-Tok, Septembre 2008

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